Au-delà de la loi de Fitts et de la loi de Schmidt : fonction d'échange vitesse/précision dans le pointage manuel et dans la saccade oculaire

Yves Guiard (CNRS)

Pour une distance donnée, plus la cible d’un pointage (par exemple un bouton graphique sur lequel on veut cliquer) est petite, plus il faut de temps à l’utilisateur pour l’acquérir. Le fait est trivial et parfaitement connu — même si malheureusement certains concepteurs d’interfaces ont tendance à l’oublier. Il se décrit quantitativement par la loi de Fitts, un modèle mathématique fameux conçu il y a soixante ans par le psychologue américain Paul Fitts: la durée du mouvement est une fonction logarithmique du rapport entre la distance et la largeur de la cible.

On a, à juste titre, beaucoup insisté sur la généralité de la loi de Fitts et sur sa remarquable utilité en interaction homme-machine et en ergonomie où elle sert abondamment, en tant qu’outil de prédiction et d’évaluation, à optimiser les conceptions d’interfaces. C’est à l’existence dans la littérature de deux familles de données récalcitrantes qu’on s’intéressera dans l’exposé. Il y a d'abord, au sein-même de l’étude du pointage manuel, ce qu’on appelle la loi de Schmidt, mathématiquement irréconciliable avec la loi de Fitts : si, permutant les variables dépendante et indépendante, on mesure la précision en faisant varier la vitesse, la fonction d’échange vitesse/précision serait linéaire, plutôt que logarithmique. Il y a ensuite le cas du pointage saccadique de l’œil : selon les auteurs, ou bien la fonction d’échange serait linéaire, en contradiction avec la loi de Fitts, ou bien il n’y aurait pas de fonction d’échange du tout.

Je présenterai une nouvelle approche théorique de la question générale du pointage utilisant de nouvelles définitions, soigneusement justifiées, de la vitesse et de la précision du mouvement et s’appuyant sur un petit nombre d’axiomes évidents. Réexaminant une série de données classiques, je montrerai que le pointage, qu'il implique la main ou l'oeil, obéit en dernière analyseà une seule et même loi quantitative, dont la fonction homographique fournit une excellente première approximation.